Souvenirs du futur

20060209

 

Infections

C'est vers la fin 2007 que la contagion s'étendit à tout le village. Elle avait débuté par une proposition contradictoire et naïve de notre proche voisin, sa maison et son jardin se couvraient de tuyaux et de "statues" polychromes. Il opposait à la noirceur de notre œuvre une  esthétique mystico psychédélique maladroitement porteuse d'un message appelant à la recherche d'un bonheur proche de la béatitude. Ses écrits étaient paradoxalement plus critique. le maire avait fermé les yeux. Il ne pouvait certes pas prétexter que cette maison faisait peur aux enfants de ses villageois.

Puis, un portail d'une maison voisine de la mairie se transforma en une peinture abstraite.
Le maire prit alors conscience de la menace qui pesait sur ce qu'il appelait l'esprit du village et sa réponse ne se fit pas attendre. Mélange de rappel à la réalité, de douce réprimande et de menace sous-jacente, cette lettre fit encore un fois la preuve de sa grande maladresse. Assimilant art et décor, il excusait le panneau sur le portail pendant les fêtes, comme il aurait admis un platane couvert de guirlandes lumineuses et de néons clinquants proclamant la venue du Christ Sauveur et de la dinde aux marrons.
Puis, ce fut un pavillon sur les hauteurs, de construction traditionnelle comme le proclamaient les bâtisseurs à la chaîne pour justifier un conformisme de bon goût masquant une conception normalisé gage de conséquentes économies de production, qui se couvrit de graphes multicolores. Pas un seul millimètre de la maison n'y échappa. Son propriétaire en modifia subtilement le rythme des façades par l'ajout d'éléments suggérant une fragilité et une approximation, une hésitation, une esquisse de travaux, un échafaudage bâché, des fenêtres en réparation, des portes faussement temporaires. Le pavillon de banlieue riche ressemblait maintenant à une case réunionnaise squattée par un gang de Venice beach.
La maison suivante à basculer fut un hymne aux monochromes de Klein. L'endémie étaient installée.

20060202

 

2054,02-02

Longtemps mes souvenirs se sont gardés de moi. Ces souvenirs timides, trop timide pour être honnêtes ont retrouvé la route de mon esprit quand mes recherches se couvrent de doute, quand mon esprit ne se satisfait plus de ce que le Réseau lui offre. Je retrouve en fait des impressions lointaines parce que je traverse une période, un instant sans temps, un désir sans motif, une destination sans lieu. Cette période —si le terme s'applique encore, puisqu'il sous entend une durée conséquente, à quelques frémissements de pulsations quantiques parcourant à la vitesse de la lumière la distance prodigieuse entre quelques cellules du cortex biologique qui supporte actuellement le Réseau– ne m'apporte que déceptions et remises en cause //2053-02 situation// comme en cet épisode qui me revient.
L'énergie n'était plus là. Malgré les avancés constantes des travaux sur la grande plateforme qui devenait de plus en plus un hymne au gothique industriel, au gothique Post-industriel plutôt, une accumulation anarchique de vestiges du passé révolu des industries viriles, des objets lourds et agressifs, marqués par leur tâche, rouillés et déformés par le manque d'entretien du à leur prévisible et proche inutilité, support enfin, dans leur dernière retraite qu'était devenu la Demeure du Chaos, de peintures de guerre et de gravures ésotériques. Chaque nuit les éclats d'un blanc absolu et aveuglant des tiges de sodium que les soudeurs écrasaient contre la structure d'OverGrounD s'imposaient aux innombrables lueurs des néons industriels. Leur lumière conférait une immobilité oppressante à tout ce qu'elle sortait de l'obscurité et un profond mystère à ce qu'elle enfermait dans une ombre porté artificielle bien plus sombre. Parfois je restais tard à mon bureau, éclairé seulement par mes écrans. Par les ouvertures du toit je voyais défiler des milliers d'étoiles chaudes, de vrais lointains soleils, comme si le bâtiment tout entier traversait la galaxie à une vitesse incommensurable. Chaque fois qu'un des hommes sur la plateforme qui surplombais mon bureau entaillait une poutrelle avec son chalumeau et que le vent entraînait les étincelles de métal en fusion, je levais la tête, chaque fois surpris et avec cette même impression de vitesse, de bond gigantesque dans l'espace temps.
En fait, j'avais envie de bouger, d'aller de l'avant, de vouloir plus et de chercher plus loin, d'affronter le futur, de mettre en branle 2052. Le chaos était à nos portes, à nos frontières, dans tous les continents voisins mais aussi dans nos cœurs et nos corps, bien sûr que nous n'étions que chaos, pas seulement les artisans de la Demeure du Chaos, tous les hommes de cette terre, comme tous ceux qui les avaient précédés, jusqu'à leurs plus basiques et protozoaires ancêtres, jusqu'au chaos originel.
Ça ne m'épouvantait absolument pas, je trouvais ça totalement naturel. Ça ne m'empêchait pas de m'emporter contre le chaos organisé, politisé, celui qui profitait à certains, ceux qui justement proclamaient lutter pour imposer l'ordre et la sérénité. Le chaos des informations était finalement bien trouble et mesquin par rapport au chaos magique, alchimique. Le constat des facéties de cette époque sur les murs de la Demeure n'était finalement que le second chemin. Il y avait eu le chaos alchimique, puis le chaos populaire que contemplait sans état d'âme chaque jour les téléspectateurs, allait enfin arriver le chaos du futur avec le dernier opus "2052". J'aspirais à prendre cette voie, pour la Demeure du Chaos et pour mon futur, mon propre travail.
C'est là que je me retrouvais en février 2006, là que je me retrouve aujourd'hui.
Pourtant, j'étais à ce moment dans une phase imaginative intense, sans particulièrement d'effort à fournir, mon stylo couvrait des surfaces considérables de hachures et de gribouillis entre figuration involontaire et étude académique fait sans lunettes et sous acide. Mais de ces centaines de dessins, je ne savais qu'en faire et je me demandais même s'ils valaient la peine. Bref, je doutais.

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