Souvenirs du futur

20061029

 

Les limbes suite

Ma dématérialisation ne s'était pas faite en un instant, mon corps avait payé de sa personne pour offrir l'éternité à mon esprit. Pourtant, cette rencontre ressemblait à une confrontation entre deux frères, proches, mais dont l'un jalouse l'autre sans même accepter de le reconnaître. La période de dématérialisation finissait pourtant par n'être qu'un échange entre soi et soi, plus l'immatériel acquerrait de consistance, plus il ressemblait à celui qui le programmait, ce jusqu'au moment où il savait être complet –fichiers reçus 100%– et donc totalement autonome. Puis une distance se créait, une différence de point de vue évident, due aux possibilités infinie qu'offrait l'existence numérique pure. D'abord, se passait une période de séparation, une sorte d'émancipation ou de rite palingénésique qui nécessitait une rupture temporelle entre son avatar désincarné et le sujet qui devait enfin accepter cette métempsycose. Là se découvraient enfin les limbes. La découverte des nouveaux pouvoirs, l'ubiquité, le savoir instantané exhaustif au savoir déjà numérisé, le déplacement quasi instantané, du moins à une échelle humaine, l'invulnérabilité et l'éternité.
La première notion à disparaître était le temps, et la crainte métaphysique d'en perdre ou d'en manquer. Cependant l'éternité restait l'énigme la plus profonde entre le sujet de chair et son image, l'une des causes profondes des problèmes de jalousie que j'évoquais précédemment alors qu'elle causais bien autant d'appréhension que la mort à un vivant, le repos éternel disaient-ils! Et bien, plus de repos, plus besoin. L'esprit désincarné rompait avec son modèle humain afin de prendre toute la mesure du trouble qu'allait engendrer la prochaine rencontre. Automatiquement allait être évoquer l'option de l'euthanasie, vécue bien évidement très différemment selon les parties.

20061018

 

Les limbes

Je suis tranquillement affalé dans une chaise longue, mes mollets reposant pour l'un sur la table basse, l'autre, par dessus, tient l'équilibre sur le tibia. La nuit m'entoure en plusieurs niveaux concentriques dont le centre est ma tête. La couche la plus éloignée par sa distance et dans le temps est le ciel étoilé, un dôme d'un noir bleuté, transpercé par de nombreux points lumineux scintillants, les plus gros donnant la mesure de profondeur les séparant des plus petits, ceux-ci bien plus proche des premiers que de tous les points que je ne pouvais voir. La couche précédente se situait dans la partie basse du tableau, un papier noir déchiré horizontalement de façon très irrégulière, anarchique ligne d'horizon d'une plaine arborée, celle encore avant, la silhouette en dentelle de l'arrière des arbres proches qui m'entourent, plus proche encore, les devants des arbres éclairés par la lumière anémique de la lampe au dessus de la porte fenêtre de l'entrée, couche contrasté, feuilles de platanes larges et brillantes en dessous sur la gauche, milliers de doigts poilus enchevêtrés, mates, surmontées d'autant de milliers de juvéniles cônes du pin et, bien sûr, les ombres des arbres les plus proches qui renvoient leur long contour au niveau de la couche suivante, côtoyer l'arrière, plus sombre. il fait un peu frais, il est, disons… septembre, non octobre, très belle soirée d'octobre. Je fume un joint, la main qui le tient est presque gourd, l'autre se réchauffe entre mon jean et mon caleçon.
Et puis non, jour, détails, couleurs, couleurs des fleurs, été, non printemps, mai, mais chaud, boisson sur la table qui soutiens mes jambes, joint?… joint, je pense, à quoi? quand je communiquais encore avec moi, mon moi vivant de chairs, dans son corps d'octogénaire. J'étais tellement lui, dans son vieux corps que je pouvait imaginer, puis me faire ressentir parfaitement, les mêmes rhumatismes, crampes, frissons, la fébrilité devant la nouveauté de l'expérience, je pouvais conceptualiser le paradoxe qu'était pour lui de parler, à travers une machine –j'aurai pu me parler directement dans son cerveau, mais je savais que c'était trop tôt– à lui-même, son esprit exact, mais transfigurée par la connaissance. SA parfaite réplique mais en DIEU. Mon rôle de ce coté, dématérialisé, déifié peut-être, fut de lui faire comprendre que je n'étais pas quelqu'un d'autre mais lui-même, pas une réplique, un avatar, mais lui-même ailleurs, dans un tout autre contexte, dans un autre temps, celui qui permettait de me retrouver –j'avais choisis de lui apparaître chez moi, dans un corps de vingts ans, un peu pour lui vendre– face à lui, moi-même, fatigué, juste maintenu dans une relative activité par divers traitements régénérants. J'ai même senti de la jalousie mais surtout de l'effroi de la part de mon moi de chair qui, de toute sa volonté avait pourtant cherché le moyen ne plus avoir besoin de corps.
Nuit étoilée de nouveau, je viens de créer quelques aberrations volontaire dans le tableau, j'ai par exemple fait disparaître toute une zone d'ombre, je crois même que j'ai gardé mordorées les feuilles du platane. J'envisage même d'aller me coucher, pour le fun! De toute façon, je suis aussi entrain de me déplacer en direction d'alpha du centaure.

20061017

 

Le débat

Le village était devenue le centre du débat qui s'était instauré entre ceux qui professaient la dématérialisation complète mais volontaire de chaque être et ceux pour qui la vie n'était possible que dans un corps. Certes, le débat était aussi présent dans des milieux plus traditionnels, assemblées politiques, lieux de culte de nombreuses religions, certaines n'ayant apparut que tardivement, vers les années 30, scientifiques conventionnels, mais il était réduit à ses conséquences sur le profit. Le monde dématérialisé n'avait plus besoin de rien, autre qu'une conscience exacerbée du devenir de ce monde qui lui était encore familier, cette petite et très étrange planète d'où tout était parti. Le village donc, par contre, abordait cette question par une recherche spirituelle. [Une forme de lutte entre le bien et le mal]. La DDC recueillait les zélateurs de la fin de la race humaine, la [[µæî∑œ ∂ê ¬'Ê∂«~ê]] ceux qui ne pouvaient admettre qu'exister ne dépend pas de son corps mais de sa pensée. Ils croyaient que la pensée était directement liée à la sensation de vivre comme l'homme avait toujours vécu. Les partisans de l'Ê∂«~ê recrutaient dans des sociétés très diverses et souvent très éloignées dans leur approche du corps. Bien entendu, les religieux les plus en pointes de chacune des religions étaient présents à Saint-Romain mais aussi de nombreux ordres violents, satanistes, nazis avaient aussi leurs représentants. Certains anciens politiques avaient aussi fait le choix de cette recherche spirituelle et avais reniées les leurs pour être acceptés dans l'Ê∂«~ê.
La DDC n'hébergeait pas le dixième de la totalité des résidents. La plus part de ses membres n'avaient plus forme humaine, seul quelques volontaires avaient accepté de continuer à vivre pour permettre les confrontations avec les disciples du corps. Certains de ces volontaires venaient du camp adverse, ils avaient admis que l'avenir ne pouvait se concevoir que dans la mutation complète de notre race en une autre race, presque immatérielle, parasite des particules élémentaires, mais n'arrivaient pas à accepter de disparaître. Ils étaient de véritables paradoxes, leur existence numérique restaient particulièrement superficielle, certains ne souhaitaient même pas se dématérialiser et acceptaient de seulement disparaitre à la fin de leur vie physique. Souvent les plus convainquant, leur abnégation était en effet absolu et leur apportaient de la sympathie même parmi leurs anciens complices qui se trouvaient dans l'autre camp.
La ÓæîÒœ~ ∂ê ¬'Ê∂«~ê, après s'être appuyée contre la DDC, avait migrée dans le bourg, l'avait annexée plus précisément. Un immense cube de plusieurs couches concentriques en verre recouvrait tout le vieux bourg. Pour y entrer, il fallait traversée cette muraille translucide épaisse de plus d'une quinzaine de mètres en empruntant des couloirs de tailles imposantes. De nombreuse portes, chargées de détecteurs physionomistes contrôlaient automatiquement l'entrée du lieu. Une fois à l'intérieur, la vision était encore plus surprenante, comme si l'on se trouvait dans une boule à neige, ou un immense aquarium, oui, c'est ça, et que les bâtiments qui avaient été conservés ressemblaient aux ruines kitchs en biscuit coloré qui les décorent, exclusivement des édifices historiques, toutes les constructions plus récente ayant fait place à de vertigineuses carrières, traces des fouilles hystériques qui avaient occupés pendant plus de dix ans les partisans de la tradition. De nombreux vestiges, dont le sommets de leurs murs délabrés ne culminaient plus qu'à moins d'une dizaine de mètres du niveau actuel du sol avaient été aménagée en salles machines. Les disques de stockages gigantesques et innombrables utilisant des technologies révolues communiquaient par un rhizome de fibres optiques et parfois d'antiques fils de cuivre. Les bâtiments hors-sol, sauf l'église et le ??? qui abritaient le culte et le parlement, hébergeaient les différentes communautés qui, si elles partageaient la même croyance, ne se supportaient que difficilement. De nombreuses rixes dont certaines avaient fait des morts se déclenchaient parfois, toutes pour des raisons bien humaines, cupidité, racisme, (…) étaient encouragées par le maître des lieux. —©;x vivait accroché par la peau à un réseau de fils qui faisait de lui un énorme pantin animé constamment par une demi-douzaine de membres qui agissaient sur leur fil pour lui faire changer d'attitude. —©;x ne se servait plus de ses muscles ni de sa volonté pour bouger. Il vivait dans l'air, sans jamais toucher le sol, entouré par une structure métallique motorisée supportant les poulies qui permettaient de faire coulisser les fils que manipulaient ses marionnettistes. Si son corps n'était plus qu'un pantin désarticulé, son esprit imposait une tyrannie absolue sur tous. Presque dans la disposition de vouloir se défaire de son corps, maîtrisant sa courre et sa garde par sa seul volonté, il ne concervait de souvenir de son existence avant sa définive suspension que la souffrance dont il jouissait à la fois par celle qu'il s'infligeait et par celles qu'il imposait, nombreuses, à tous ceux qui étaient amenés à le côtoyer, et les désagréments physiologiques incontournables. Des tuyaux cousus dans ses chairs enchâssaient son anus et son sexe afin d'évacuer ses déjections qui étaient collectées et exposées tout au long de leur biodégradation.

Les murs, parois, façades, constructions, peintures de la DDC étaient à cette époque totalement pourpris dans une épaisse couche de résine indestructible et parfaitement translucide. Cette résine avait été façonnée afin de ne présenter que des arrêtes vives qui faisaient miroiter les murs noirs et se dupliquer, sur des centaines de facettes, les traces de symboles, yeux des portraits, couleurs criardes des graffs, IPNs rougis d'une rouille maintenant inerte et éternelle et même certaines plantes qui n'avaient pas échappées à l'inclusion. Cependant, autour du bâtiment historique, de cette porte vers la race suivante, la vie se faisait dans des conditions plus naturelles, à l'air libre, dans une ambiance presque champêtre. Ce n'était pas pour autant surprenant pour les nouveaux adeptes, ou ceux dont la croyance les poussaient à s'engager dans le prosélytisme de la dématérialisation. L'anticonformisme régnait absolument de partout. Les tenus gothiques avaient migrées sur l'autre partie du village, s'agrégeant avec les tenues des technophiles, mais il restait un esprit de révolte radicale qui s'exprimaient autant dans les tenues chamarrées et glamour associées avec des accessoires cosmopolites, bijoux africains, asiatiques, kefiés, tenues militaires, mais aussi d'ironiques aubes, étoles et chasubles portées de façons anarchiques en l'honneur de Petrus Romanus!

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