Souvenirs du futur

20070205

 

Le virus inhumain

Toutes les prévisions des scientifiques qui auscultaient la planète étaient dépassée, à cause de la nature qui avait d'elle même choisie une autre voie, changée ses habitudes en quelque sorte, et qui n'avait absolument pas suivi les recommandation ses experts, comme d'ailleurs la majeur partie des hommes. Ceux qui l'avaient fait n'étaient pas poussés par une conscience aiguë de l'écologie, luttant activement, en vivant de privations contre les modifications climatique, n'en ayant eu —…pas même l'idée — l'information, ceux qui ne consommaient pas, qui polluaient le moins possible étaient juste ceux qui n'avaient rien, qui n'avaient depuis toujours rien eu, à part peut-être, je devrais dire probablement, des guerres, ceux qui essayaient d'enjamber le grillage entre leur monde et le nôtre, celui qui savaient et n'arrivaient pas à s'entendre, à se raisonner, avec un petit mieux du côté des sociétés en devenir, plus courageuse et fataliste probablement.
De toute façon la terre changeait et l'homme continuait de la menacer, les immenses progrès faits dans tous les domaines, ayant échoués dans leur but final de compenser les traumatismes liés au virus humain par les progrès technique, finalement soigner le mal par le mal. La terre seraient au XXII e siècle totalement inhospitalière. Une très faible quantité de la population pouvant profiter d'un relatif confort artificiel, les très riches et les puissants.
Juste après que les hommes eurent admis cette fatale évidence, apparut la possibilité du Transfert Complet de Personnalité. Enfin LA solution existait, radicale. mais jamais l'humanité n'avait été confronté à pareil choix, disparaître pour survivre. S'en suivit un interminable débat évoquant toutes les questions qui conduisit à une fracture radicale entre les fatalistes qui se réclamait des dieux, pour qui leur Dieu avait fait le choix de leur imposer la dernière épreuve, le jugement dernier, le renoncement, et ceux qui s'inventaient ce paradis, l'immatérialité, sans en référer à une quelconque entité divine. Les théologiens de tous bords affirmaient que ce n'était pas à l'homme de décider de son évolution ou de sa disparition et menaçaient leurs fidèles de subir les enfers pour cette ultime insubordination. Incapable d'admettre que cette solution sauverait une splendide et magique création de ce monde, cette terre qui nous avait bercé, élevé, supporté puis enfin subissait les caprices des enfants turbulents, bagarreurs et insatiables.

Le paradis offert choquait aussi la morale puisque la morale tel que nous la connaissions à l'époque n'avait plus aucune importance. Violence, perversion, sadisme, masochisme, addiction n'avaient plus aucune conséquence pour cette existence exclusivement virtuelle. D'ailleurs les seuls à en profiter étaient ceux qui se raccrochaient le plus à une mémoire de leur précédente espèce. Jouer la vie, la pire des vie de violence ou de stupre, s'offrir la personnalité d'un Alexandre ; la détermination d'un Rambo ; la force d'un Superman ne suffisait pourtant vite plus à se donner des sensations de courage ou même d'émotions. Seule la nostalgie en restait l'instigatrice.

Cependant, ce paradis pour certain comportait tout de même une obligation. Réparer tout le mal qu'on avait fait et cela passait, comme tout premier traitement, par l'éradication pure et simple, contre sa volonté, de l'espèce humaine. Il fallait agir vite, très vite. L'idée du virus s'imposa très vite dans la communauté virtuelle.

20061029

 

Les limbes suite

Ma dématérialisation ne s'était pas faite en un instant, mon corps avait payé de sa personne pour offrir l'éternité à mon esprit. Pourtant, cette rencontre ressemblait à une confrontation entre deux frères, proches, mais dont l'un jalouse l'autre sans même accepter de le reconnaître. La période de dématérialisation finissait pourtant par n'être qu'un échange entre soi et soi, plus l'immatériel acquerrait de consistance, plus il ressemblait à celui qui le programmait, ce jusqu'au moment où il savait être complet –fichiers reçus 100%– et donc totalement autonome. Puis une distance se créait, une différence de point de vue évident, due aux possibilités infinie qu'offrait l'existence numérique pure. D'abord, se passait une période de séparation, une sorte d'émancipation ou de rite palingénésique qui nécessitait une rupture temporelle entre son avatar désincarné et le sujet qui devait enfin accepter cette métempsycose. Là se découvraient enfin les limbes. La découverte des nouveaux pouvoirs, l'ubiquité, le savoir instantané exhaustif au savoir déjà numérisé, le déplacement quasi instantané, du moins à une échelle humaine, l'invulnérabilité et l'éternité.
La première notion à disparaître était le temps, et la crainte métaphysique d'en perdre ou d'en manquer. Cependant l'éternité restait l'énigme la plus profonde entre le sujet de chair et son image, l'une des causes profondes des problèmes de jalousie que j'évoquais précédemment alors qu'elle causais bien autant d'appréhension que la mort à un vivant, le repos éternel disaient-ils! Et bien, plus de repos, plus besoin. L'esprit désincarné rompait avec son modèle humain afin de prendre toute la mesure du trouble qu'allait engendrer la prochaine rencontre. Automatiquement allait être évoquer l'option de l'euthanasie, vécue bien évidement très différemment selon les parties.

20061018

 

Les limbes

Je suis tranquillement affalé dans une chaise longue, mes mollets reposant pour l'un sur la table basse, l'autre, par dessus, tient l'équilibre sur le tibia. La nuit m'entoure en plusieurs niveaux concentriques dont le centre est ma tête. La couche la plus éloignée par sa distance et dans le temps est le ciel étoilé, un dôme d'un noir bleuté, transpercé par de nombreux points lumineux scintillants, les plus gros donnant la mesure de profondeur les séparant des plus petits, ceux-ci bien plus proche des premiers que de tous les points que je ne pouvais voir. La couche précédente se situait dans la partie basse du tableau, un papier noir déchiré horizontalement de façon très irrégulière, anarchique ligne d'horizon d'une plaine arborée, celle encore avant, la silhouette en dentelle de l'arrière des arbres proches qui m'entourent, plus proche encore, les devants des arbres éclairés par la lumière anémique de la lampe au dessus de la porte fenêtre de l'entrée, couche contrasté, feuilles de platanes larges et brillantes en dessous sur la gauche, milliers de doigts poilus enchevêtrés, mates, surmontées d'autant de milliers de juvéniles cônes du pin et, bien sûr, les ombres des arbres les plus proches qui renvoient leur long contour au niveau de la couche suivante, côtoyer l'arrière, plus sombre. il fait un peu frais, il est, disons… septembre, non octobre, très belle soirée d'octobre. Je fume un joint, la main qui le tient est presque gourd, l'autre se réchauffe entre mon jean et mon caleçon.
Et puis non, jour, détails, couleurs, couleurs des fleurs, été, non printemps, mai, mais chaud, boisson sur la table qui soutiens mes jambes, joint?… joint, je pense, à quoi? quand je communiquais encore avec moi, mon moi vivant de chairs, dans son corps d'octogénaire. J'étais tellement lui, dans son vieux corps que je pouvait imaginer, puis me faire ressentir parfaitement, les mêmes rhumatismes, crampes, frissons, la fébrilité devant la nouveauté de l'expérience, je pouvais conceptualiser le paradoxe qu'était pour lui de parler, à travers une machine –j'aurai pu me parler directement dans son cerveau, mais je savais que c'était trop tôt– à lui-même, son esprit exact, mais transfigurée par la connaissance. SA parfaite réplique mais en DIEU. Mon rôle de ce coté, dématérialisé, déifié peut-être, fut de lui faire comprendre que je n'étais pas quelqu'un d'autre mais lui-même, pas une réplique, un avatar, mais lui-même ailleurs, dans un tout autre contexte, dans un autre temps, celui qui permettait de me retrouver –j'avais choisis de lui apparaître chez moi, dans un corps de vingts ans, un peu pour lui vendre– face à lui, moi-même, fatigué, juste maintenu dans une relative activité par divers traitements régénérants. J'ai même senti de la jalousie mais surtout de l'effroi de la part de mon moi de chair qui, de toute sa volonté avait pourtant cherché le moyen ne plus avoir besoin de corps.
Nuit étoilée de nouveau, je viens de créer quelques aberrations volontaire dans le tableau, j'ai par exemple fait disparaître toute une zone d'ombre, je crois même que j'ai gardé mordorées les feuilles du platane. J'envisage même d'aller me coucher, pour le fun! De toute façon, je suis aussi entrain de me déplacer en direction d'alpha du centaure.

20061017

 

Le débat

Le village était devenue le centre du débat qui s'était instauré entre ceux qui professaient la dématérialisation complète mais volontaire de chaque être et ceux pour qui la vie n'était possible que dans un corps. Certes, le débat était aussi présent dans des milieux plus traditionnels, assemblées politiques, lieux de culte de nombreuses religions, certaines n'ayant apparut que tardivement, vers les années 30, scientifiques conventionnels, mais il était réduit à ses conséquences sur le profit. Le monde dématérialisé n'avait plus besoin de rien, autre qu'une conscience exacerbée du devenir de ce monde qui lui était encore familier, cette petite et très étrange planète d'où tout était parti. Le village donc, par contre, abordait cette question par une recherche spirituelle. [Une forme de lutte entre le bien et le mal]. La DDC recueillait les zélateurs de la fin de la race humaine, la [[µæî∑œ ∂ê ¬'Ê∂«~ê]] ceux qui ne pouvaient admettre qu'exister ne dépend pas de son corps mais de sa pensée. Ils croyaient que la pensée était directement liée à la sensation de vivre comme l'homme avait toujours vécu. Les partisans de l'Ê∂«~ê recrutaient dans des sociétés très diverses et souvent très éloignées dans leur approche du corps. Bien entendu, les religieux les plus en pointes de chacune des religions étaient présents à Saint-Romain mais aussi de nombreux ordres violents, satanistes, nazis avaient aussi leurs représentants. Certains anciens politiques avaient aussi fait le choix de cette recherche spirituelle et avais reniées les leurs pour être acceptés dans l'Ê∂«~ê.
La DDC n'hébergeait pas le dixième de la totalité des résidents. La plus part de ses membres n'avaient plus forme humaine, seul quelques volontaires avaient accepté de continuer à vivre pour permettre les confrontations avec les disciples du corps. Certains de ces volontaires venaient du camp adverse, ils avaient admis que l'avenir ne pouvait se concevoir que dans la mutation complète de notre race en une autre race, presque immatérielle, parasite des particules élémentaires, mais n'arrivaient pas à accepter de disparaître. Ils étaient de véritables paradoxes, leur existence numérique restaient particulièrement superficielle, certains ne souhaitaient même pas se dématérialiser et acceptaient de seulement disparaitre à la fin de leur vie physique. Souvent les plus convainquant, leur abnégation était en effet absolu et leur apportaient de la sympathie même parmi leurs anciens complices qui se trouvaient dans l'autre camp.
La ÓæîÒœ~ ∂ê ¬'Ê∂«~ê, après s'être appuyée contre la DDC, avait migrée dans le bourg, l'avait annexée plus précisément. Un immense cube de plusieurs couches concentriques en verre recouvrait tout le vieux bourg. Pour y entrer, il fallait traversée cette muraille translucide épaisse de plus d'une quinzaine de mètres en empruntant des couloirs de tailles imposantes. De nombreuse portes, chargées de détecteurs physionomistes contrôlaient automatiquement l'entrée du lieu. Une fois à l'intérieur, la vision était encore plus surprenante, comme si l'on se trouvait dans une boule à neige, ou un immense aquarium, oui, c'est ça, et que les bâtiments qui avaient été conservés ressemblaient aux ruines kitchs en biscuit coloré qui les décorent, exclusivement des édifices historiques, toutes les constructions plus récente ayant fait place à de vertigineuses carrières, traces des fouilles hystériques qui avaient occupés pendant plus de dix ans les partisans de la tradition. De nombreux vestiges, dont le sommets de leurs murs délabrés ne culminaient plus qu'à moins d'une dizaine de mètres du niveau actuel du sol avaient été aménagée en salles machines. Les disques de stockages gigantesques et innombrables utilisant des technologies révolues communiquaient par un rhizome de fibres optiques et parfois d'antiques fils de cuivre. Les bâtiments hors-sol, sauf l'église et le ??? qui abritaient le culte et le parlement, hébergeaient les différentes communautés qui, si elles partageaient la même croyance, ne se supportaient que difficilement. De nombreuses rixes dont certaines avaient fait des morts se déclenchaient parfois, toutes pour des raisons bien humaines, cupidité, racisme, (…) étaient encouragées par le maître des lieux. —©;x vivait accroché par la peau à un réseau de fils qui faisait de lui un énorme pantin animé constamment par une demi-douzaine de membres qui agissaient sur leur fil pour lui faire changer d'attitude. —©;x ne se servait plus de ses muscles ni de sa volonté pour bouger. Il vivait dans l'air, sans jamais toucher le sol, entouré par une structure métallique motorisée supportant les poulies qui permettaient de faire coulisser les fils que manipulaient ses marionnettistes. Si son corps n'était plus qu'un pantin désarticulé, son esprit imposait une tyrannie absolue sur tous. Presque dans la disposition de vouloir se défaire de son corps, maîtrisant sa courre et sa garde par sa seul volonté, il ne concervait de souvenir de son existence avant sa définive suspension que la souffrance dont il jouissait à la fois par celle qu'il s'infligeait et par celles qu'il imposait, nombreuses, à tous ceux qui étaient amenés à le côtoyer, et les désagréments physiologiques incontournables. Des tuyaux cousus dans ses chairs enchâssaient son anus et son sexe afin d'évacuer ses déjections qui étaient collectées et exposées tout au long de leur biodégradation.

Les murs, parois, façades, constructions, peintures de la DDC étaient à cette époque totalement pourpris dans une épaisse couche de résine indestructible et parfaitement translucide. Cette résine avait été façonnée afin de ne présenter que des arrêtes vives qui faisaient miroiter les murs noirs et se dupliquer, sur des centaines de facettes, les traces de symboles, yeux des portraits, couleurs criardes des graffs, IPNs rougis d'une rouille maintenant inerte et éternelle et même certaines plantes qui n'avaient pas échappées à l'inclusion. Cependant, autour du bâtiment historique, de cette porte vers la race suivante, la vie se faisait dans des conditions plus naturelles, à l'air libre, dans une ambiance presque champêtre. Ce n'était pas pour autant surprenant pour les nouveaux adeptes, ou ceux dont la croyance les poussaient à s'engager dans le prosélytisme de la dématérialisation. L'anticonformisme régnait absolument de partout. Les tenus gothiques avaient migrées sur l'autre partie du village, s'agrégeant avec les tenues des technophiles, mais il restait un esprit de révolte radicale qui s'exprimaient autant dans les tenues chamarrées et glamour associées avec des accessoires cosmopolites, bijoux africains, asiatiques, kefiés, tenues militaires, mais aussi d'ironiques aubes, étoles et chasubles portées de façons anarchiques en l'honneur de Petrus Romanus!

20060209

 

Infections

C'est vers la fin 2007 que la contagion s'étendit à tout le village. Elle avait débuté par une proposition contradictoire et naïve de notre proche voisin, sa maison et son jardin se couvraient de tuyaux et de "statues" polychromes. Il opposait à la noirceur de notre œuvre une  esthétique mystico psychédélique maladroitement porteuse d'un message appelant à la recherche d'un bonheur proche de la béatitude. Ses écrits étaient paradoxalement plus critique. le maire avait fermé les yeux. Il ne pouvait certes pas prétexter que cette maison faisait peur aux enfants de ses villageois.

Puis, un portail d'une maison voisine de la mairie se transforma en une peinture abstraite.
Le maire prit alors conscience de la menace qui pesait sur ce qu'il appelait l'esprit du village et sa réponse ne se fit pas attendre. Mélange de rappel à la réalité, de douce réprimande et de menace sous-jacente, cette lettre fit encore un fois la preuve de sa grande maladresse. Assimilant art et décor, il excusait le panneau sur le portail pendant les fêtes, comme il aurait admis un platane couvert de guirlandes lumineuses et de néons clinquants proclamant la venue du Christ Sauveur et de la dinde aux marrons.
Puis, ce fut un pavillon sur les hauteurs, de construction traditionnelle comme le proclamaient les bâtisseurs à la chaîne pour justifier un conformisme de bon goût masquant une conception normalisé gage de conséquentes économies de production, qui se couvrit de graphes multicolores. Pas un seul millimètre de la maison n'y échappa. Son propriétaire en modifia subtilement le rythme des façades par l'ajout d'éléments suggérant une fragilité et une approximation, une hésitation, une esquisse de travaux, un échafaudage bâché, des fenêtres en réparation, des portes faussement temporaires. Le pavillon de banlieue riche ressemblait maintenant à une case réunionnaise squattée par un gang de Venice beach.
La maison suivante à basculer fut un hymne aux monochromes de Klein. L'endémie étaient installée.

20060202

 

2054,02-02

Longtemps mes souvenirs se sont gardés de moi. Ces souvenirs timides, trop timide pour être honnêtes ont retrouvé la route de mon esprit quand mes recherches se couvrent de doute, quand mon esprit ne se satisfait plus de ce que le Réseau lui offre. Je retrouve en fait des impressions lointaines parce que je traverse une période, un instant sans temps, un désir sans motif, une destination sans lieu. Cette période —si le terme s'applique encore, puisqu'il sous entend une durée conséquente, à quelques frémissements de pulsations quantiques parcourant à la vitesse de la lumière la distance prodigieuse entre quelques cellules du cortex biologique qui supporte actuellement le Réseau– ne m'apporte que déceptions et remises en cause //2053-02 situation// comme en cet épisode qui me revient.
L'énergie n'était plus là. Malgré les avancés constantes des travaux sur la grande plateforme qui devenait de plus en plus un hymne au gothique industriel, au gothique Post-industriel plutôt, une accumulation anarchique de vestiges du passé révolu des industries viriles, des objets lourds et agressifs, marqués par leur tâche, rouillés et déformés par le manque d'entretien du à leur prévisible et proche inutilité, support enfin, dans leur dernière retraite qu'était devenu la Demeure du Chaos, de peintures de guerre et de gravures ésotériques. Chaque nuit les éclats d'un blanc absolu et aveuglant des tiges de sodium que les soudeurs écrasaient contre la structure d'OverGrounD s'imposaient aux innombrables lueurs des néons industriels. Leur lumière conférait une immobilité oppressante à tout ce qu'elle sortait de l'obscurité et un profond mystère à ce qu'elle enfermait dans une ombre porté artificielle bien plus sombre. Parfois je restais tard à mon bureau, éclairé seulement par mes écrans. Par les ouvertures du toit je voyais défiler des milliers d'étoiles chaudes, de vrais lointains soleils, comme si le bâtiment tout entier traversait la galaxie à une vitesse incommensurable. Chaque fois qu'un des hommes sur la plateforme qui surplombais mon bureau entaillait une poutrelle avec son chalumeau et que le vent entraînait les étincelles de métal en fusion, je levais la tête, chaque fois surpris et avec cette même impression de vitesse, de bond gigantesque dans l'espace temps.
En fait, j'avais envie de bouger, d'aller de l'avant, de vouloir plus et de chercher plus loin, d'affronter le futur, de mettre en branle 2052. Le chaos était à nos portes, à nos frontières, dans tous les continents voisins mais aussi dans nos cœurs et nos corps, bien sûr que nous n'étions que chaos, pas seulement les artisans de la Demeure du Chaos, tous les hommes de cette terre, comme tous ceux qui les avaient précédés, jusqu'à leurs plus basiques et protozoaires ancêtres, jusqu'au chaos originel.
Ça ne m'épouvantait absolument pas, je trouvais ça totalement naturel. Ça ne m'empêchait pas de m'emporter contre le chaos organisé, politisé, celui qui profitait à certains, ceux qui justement proclamaient lutter pour imposer l'ordre et la sérénité. Le chaos des informations était finalement bien trouble et mesquin par rapport au chaos magique, alchimique. Le constat des facéties de cette époque sur les murs de la Demeure n'était finalement que le second chemin. Il y avait eu le chaos alchimique, puis le chaos populaire que contemplait sans état d'âme chaque jour les téléspectateurs, allait enfin arriver le chaos du futur avec le dernier opus "2052". J'aspirais à prendre cette voie, pour la Demeure du Chaos et pour mon futur, mon propre travail.
C'est là que je me retrouvais en février 2006, là que je me retrouve aujourd'hui.
Pourtant, j'étais à ce moment dans une phase imaginative intense, sans particulièrement d'effort à fournir, mon stylo couvrait des surfaces considérables de hachures et de gribouillis entre figuration involontaire et étude académique fait sans lunettes et sous acide. Mais de ces centaines de dessins, je ne savais qu'en faire et je me demandais même s'ils valaient la peine. Bref, je doutais.

20051209

 

2053,12-09

Le squelette d'OverGrounD avait été conçu par des spécialistes des charpentes. Fabriqué à l'extérieur puis posé, comme prévu, au dessus de la partie centrale de la Demeure du Chaos en seulement une semaine, si je me rappelle bien, du moins en vraiment peu de temps. Les techniciens qui s'étaient chargés de cet assemblage regardèrent avec étonnement l'environnement qu'ils surplombaient en courant le long des poutres métalliques. Ils avaient côtoyé des lieux plus imposants, monté des charpentes plus volumineuses, mais exclusivement dans des décors classiques de zones industrielles ou commerciales. Les usines étaient parfois fascinantes, hébergeant de monstrueuses machines en mouvement rivalisant entre production de bruits et de fumées. Pourtant je sais que jamais ils ne s'étaient trouvés dans un lieu aussi étrange. Jamais non plus on avait autant pris soin d'eux. Leur quart d'heure de célébrité allait aussi leur être accordé car tous leurs exploits se faisaient sous le regards de caméras : ils étaient les acteurs involontaires d'une performance artistique.
Une immense grue visible de tout le village semblait de loin brasser les nuages gris d'un plafond bas et menaçant qui avait accompagné presque tout le temps du montage. Accrochés à cette flèche articulée et télescopique, les poutres de métal brut -autre sujet d'étonnement pour les monteurs qui assemblaient exclusivement des pièces en acier peint ou traité- commençaient à ressembler aux déjà nombreux IPN installés dans les installations du sol, du "niveau zéro"… La différence des aciers offraient des nuances de rouille allant du jaune profond doré à un rose pâle et violacé sublime. Les coulées humides et répétées laissaient leurs souvenirs en forme de zébrures irisées sur les larges sections des poutres transversales chevauchant le bâtiment tout entier.
Toute cette semaine, une musique sauvage avait accompagné chaque minute du montage. Vombrissement sourd de l'énorme diesel de la grue accompagnant sifflement inquiétant de ses câbles s'enroulant et se déroulant inlassablement, notes cristallines des entrechoquements entre les longues poutrelles au cours de leur positionnement définitif.

§////M:xK////

Fin 2005, la structure, le squelette comme je l'avais appelé était prêt. Les nombreuses passerelles, chemins vertigineux allaient pouvoir jeter leur réseau tentaculaire tout au dessus de le Demeure.

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