Souvenirs du futur

20051110

 

2053,11-10

Une guerre de rue s'était installée dans les banlieues. Les villes commençaient à devenir les entités indépendantes et protéiformes qu'on connaît maintenant, même si la réalité est tout autre, les périphéries accueillaient toutes les populations mises de coté par la course frénétique qu'imposait la totalité des vecteurs de cette société qui ne se doutait pas encore de son devenir. D'ailleurs la plupart de mes contemporains ne se soucient pas de son état actuel, le refus de prise de conscience des événements du milieu de notre siècle les conduit même à s'imposer une totale ignorance de la réalité des faits.
A la période de ces émeutes, l'ignorance de la population s'exerçait déjà, leurrée, entre autres par ce qu'on lui avait suggéré d'appeler "Grande Messe du 20 heures" une diffusion d'images -produites en toute sincérité par des journalistes consciencieux- qui permettaient une vision des choses allégorique et superficielle. Permettaient parce que l'analyse restait possible mais que les dirigeants passaient bien plus de temps à imaginer des solutions pour masquer toute réalité trop crue, tout constat trop amer, tout sujet trop polémique, préférant supporter des conséquences à posteriori, même vitales, à un risque de déni, de désapprobation, voire seulement une contreoverse , qu'à rechercher des réponses qui ne concorderaient pas avec les intérêts partisans des groupes de pression qui les finançaient.
Cette guerre de rue était le fait de la troisième et quatrième génération d'une population qui avait déjà eu du mal à s'intégrer. La cause était une guerre qui ne reçut ce qualificatif que bien plus tard, les autorités préférant, par résurgence d'un esprit colonialiste, le terme d'évènements d'Algérie. Colonialisme, guerre d'indépendance, racisme primaire, primale même, différences culturelles et surtout religieuses, conservatisme et paternalisme pour les plus tendres, toutes ces raisons de détester cette population n'avaient pas encore été surmontées que l'attaque des tours de New-York allaient d'un côté accréditer les craintes de la population de souche catholique envers les musulmans, vus systématiquement comme des islamistes radicaux, et faire esquisser à ces petits fils et arrière-petits fils d'immigrés, mal considérés, mal traités, un espoir d'identité romantique, d'honneur retrouvé surtout.
La Demeure du Chaos exposait déjà de nombreuses voitures incendiées, ces objets à la fois fascinants et communs dans le cadre d'un musée choquaient les bien-pensants par l'évocation de la révolte possible, probable, inéluctable mais aussi par le rejet d'une quelconque remise en question du principe même de ce qui soutenait l'économie, le consumérisme, le respect de l'objet, surtout celui-ci, symbole de liberté et pour autant antinomique symbole d'asservissement. Cette révolte conservatrice, cette attitude bouleversée s'exprimait aussi à propos de la maison qui représentait la quintessence de la propriété bourgeoise. Je me faisais parfois agresser par delà les grilles du portail, comme ceux qui travaillaient avec nous par des gens qui ne voyaient que la destruction de la propriété, pas les heures de travail, pas l'investissement farouche. Le questionnement provocateur, le sujet n'était pas évoqué, à part peut-être à propos de la plus haute des plaques qu'avait réalisé Ben et qui proclamait férocement cette lapalissade : "la fin du monde approche"! Cette affirmation sensée aurait du leur faire admettre que l'attachement maladif aux choses matérielles n'était finalement qu'une fumisterie, que la raison n'était finalement pas là où ils l'avaient vus, mais non, la peur de cette fin qu'ils avaient peu de chance de connaître les tourmentaient. Pourtant, dans une grande majorité, ces bien-pensant devaient être croyants et la fin du monde annoncée leur garantissait la fin du bannissement et le retour au paradis.

Les émeutes avaient pris une tournure catastrophique, économiquement bien sûr, mais elles ravageaient aussi le prestige prétentieusement affiché d'une petite France en état de déliquescence. La patrie des droits de l'homme laissait voir ses plus vils aspects : manque d'intégration d'une communauté, racisme, pauvreté latente d'une population. Les va-t-en-guerre voyaient faiblesse et indécision. Le mot chaos était dans toutes les bouches, dans tous les titres, dans tous les discours. Journalistes, politiciens, badauds en faisaient le terme ultime, la menace, le synonyme de fin. Pourtant les événements, s'ils étaient chaotiques, n'annonçaient qu'une fin partielle, une remise en question de la société de cette époque. Les pays qui, à travers leurs journaux télévisés, leurs quotidiens  -encore sur papier- nous donnaient des leçons, ou qui, hypocrites, semblaient affligés par nos déboires allaient bientôt, eux aussi, faire les frais de cette onde de choc de conscience maladroite et violente.


////"Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou, ou un économiste." (Objectif décroissance, ouvrage collectif, Paragon, 2003) \\\\Autres souvenirs du futur\\\\

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